01 Juin Le Figaro – La canne de combat revient dans Paris
Jadis popularisée par les anarchistes ou les camelots du roi, cette arme de ville retrouve des adeptes. Ils s’entraînent chaque jeudi dans le VI ème.
Article du journal « Le Figaro » : sur la base d’une interview de Philippe ROUDILLON professeur de canne française et fondateur du Cercle CHARLEMONT. Une excellente approche pour comprendre le contexte historique, culturel et sportif de cet art.
« Tireurs au centre. Messieurs, prêts pour le salut : saluez-vous ! »
Ces commandements précis résonnent dans la salle principale du gymnase Garancière (VI). L’endroit maintient une curieuse tradition en devenant, chaque jeudi soir, le Cercle CHARLEMONT : le cercle des adeptes de la canne. Les combattants (appelés tireurs), protégés par un masque, des gants et une combinaison matelassée, s’affrontent dans une aire de neuf mètres de circonférence.
L’art de la canne est alors aussi bien enseigné dans les arrières-salles des débits de boissons populaires que dans les salles d’escrime, et les premiers manuels sont rédigés par des maîtres comme Leboucher, qui fait paraître en 1843 une Théorie pour apprendre à tirer la canne, et, plus tard par le prestigieux Charles CHARLEMONT, qui publie en 1899, L’Art de la boxe française et de la canne.
A la fois élégante et dangereuse.
Il s’agit de toucher son adversaire sur l’une des zones autorisées(tête, buste, jambes) à l’aide d’une canne de 95 centimètres de long. Le geste est gracieux, ample. Puis, brusquement, feintes, voltes, esquives et parades s’enchaînent en un véritable ballet rythmé par le choc des armes. « La canne française est un sport de combat précis, tactique, subtil et complexe, explique Philippe ROUDILLON, qui a fondé le cercle en 1986, mais aussi très actuel et adapté à la mentalité sportive d’aujourd’hui, en dépit de son caractère confidentiel. »
A Paris, on retrouve souvent la canne au côté de mouvements politiques comme celui des anarchistes ou des camelots du roi, qui en avaient fait un signe de reconnaissance, mais également un redoutable instrument de combat aux extrémités plombées. La police elle-même n’était pas avare de coups, ce qui valut à certains de ses représentants le surnom ironique de « cognes ». « En 1899, un commissaire de police a été grièvement blessé lors d’une émeute, raconte Gilbert Segas, un antiquaire spécialisé dans les cannes anciennes, et la même année le président de la République, Emile Loubet, a été assailli à coups de canne par un opposant, le baron de Christiani ».
Si l’arme est ancienne et fait partie du patrimoine, le sport, lui, ne cesse de se renouveler et d’attirer de nouveaux pratiquants, plus passionnés que jamais. Symbole de l’aristocratie, à l’égal de l’épée, la canne est popularisée pendant la Révolution grâce aux « incroyables » dont les gourdins volontairement frustres, à l’inverse des cannes ornées de l’Ancien Régime, semaient la terreur dans les rues de la capitale.
Simple pièce du costume au XIX ème siècle, la canne suit la mode pas à pas à travers l’Europe. On la porte au bout du bras, du bourgeois libéral au monarchiste convaincu, sans oublier le bonapartiste, le compagnon du devoir ou le souteneur des Batignolles.
La canne est alors un objet dont nul promeneur ne songerait à se séparer. Car cet élément apparemment accessoire peut se muer en une arme redoutable entre les mains de quiconque sait la manier. Et comme, à cette époque, les rues étaient peu sûres et les mauvaises rencontres fréquentes, la canne s’avérait un excellent moyen d’assurer sa sécurité, au même titre que la savate, cet ancêtre de la boxe française.
Lames de rasoir.
Dès lors , l’imagination s’enflamme, et l’on ne compte plus les brevets. Canne-épée, canne-fusil, canne-pistolet, canne à système hérissée de lames de rasoir : cet attirail inonde le marché. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, l’armée contribua également à la diffusion de la canne française et du bâton car tous les conscrits étaient tenus d’en connaître au moins les rudiments, et les maîtres d’armes décernaient à ceux qui s’en montraient dignes des brevets que se disputent aujourd’hui les collectionneurs.
La canne perdit une bonne partie de son intérêt en tant qu’arme de défense lorsqu’elle cessa d’être un accessoire vestimentaire à la mode. Restait le sport. Il vaut toujours d’être découvert.
Le Figaro – Cyril HOFSTEIN